vendredi 19 février 2010

30 ans, et tout recommence

A l’invitation de la FFMC 89 (La Fédération des Motards en Colère, section Yonne) j’ai donné une conférence suivie d’un débat le 29 février dernier à Charbuy. Quelques jours plus tard, le journaliste Jean-Jules Gaye me donnait l’occasion de m’exprimer - toujours à propos de mon livre - sur TV Auxerre… Cliquer ici.

J’en profite pour remercier ici les motards d’Auxerre et des environs, et notamment Jean-Pierre Yon, Frédéric Roy et Jean-Michel qui ont organisé ce meeting. Anecdote : malgré une active campagne de promotion locale, 90% du public à Charbuy était constitué de motards. Ce qui montre une nouvelle fois à quel point les automobilistes français n’ont aucun réflexe défensif envers l’actuelle répression routière. « Les automobilistes ? Ce sont des "mouveaux", m’écrit avec à-propos l’expérimenté Jean-Marie Glantzen (1) sorte de croisement entre le mouton et le veau ». Inutile de s’étonner de la récurrence du matraquage dont nous faisons l’objet. Tout se passe en silence, les automobilistes sont anesthésiés, tandis que nos habituels contre-pouvoirs pantouflent et/ou relaient le message policier du gouvernement. Dans cette France couchée de 2010, seuls les motards sont encore debout. Et pourtant, eux bataillent depuis les années 80.

Au guidon de ma première moto (une 125 Honda S3 bleue) j'étais des premières manifestations motardes à la fin des années 70, parties du circuit sauvage de Rungis, puis de la place de la Bastille. Ce giga-chahut motorisé fut provoqué par les envolées violemment motophobes de Christian Gérondeau, l'instauration de la vignette moto, les tarifs d'assurance prohibitifs, etc. Nos dirigeants avaient dans l'idée d'éradiquer la pratique de la moto, tout simplement. Ces manifs aboutirent à la création de la FFMC. Ces jeunes « braillards casqués », en blouson de cuir, c’était tout un pan de la jeunesse française. Celle qui renvoya durablement Giscard et ses têtes de cire au musée. Or, la fédération des motards vient de fêter ses 30 ans, et tout recommence.

La FFMC, c'est le dernier îlot de résistance face à la vague répressive. Elle reste forte et fière de son action : suppression de la vignette moto, réduction des péages pour les deux-roues, création de l’assurance La Mutuelle des Motards (pétillante aventure collectiviste), création du circuit Carole, ouverture des circuits aux motards, réforme du permis, innombrables action de formation et de prévention routière, inlassable force de proposition, etc. (2)

Grâce aux motards en colère, les abus sécuritaires ont encore une limite. Les motards effraient nos ministres encravatés, car non seulement ce sont des affranchis insensibles à la propagande officielle, mais ils restent capables de se mobiliser, et bloquer des dizaines de villes en France sur un mot d’ordre. Les motards forment encore une communauté, se saluent sur la route, sont attachés aux dernièrs mètres de liberté qu’ils nous restent. Pour la puissance publique ce n’est pas une population captive et soumise comme celle des "caisseux", c’est au contraire une population hardie, insaisissable, autonome, informée, difficile à cerner.

Exaspérés par l'inflation sécuritaire et fiscale, de plus en plus de motorisés sont gonflés à bloc. Ca tombe bien, l’action est de retour ! La FFMC appelle motards et scootéristes à manifester le 13 mars prochain (voir les RV suivant les villes). Pourquoi ? Pour inciter à légiférer sur la circulation interfile (énième promesse non tenue) et pointer les tartufferies de notre « Sécurité routière » alors que le premier ministre annonce une répression... accrue.

Incidemment, ce chahut programmé devrait rappeler à Nicolas Sarkozy que nous sommes en démocratie, et que c’est lui qui doit avoir peur du peuple, et non le contraire.

Quant à toi lecteur, le 13 mars tu sauras si tu es motard ou... mouveau.

(1) Fondateur de l’ACAREC, l’Amicale des Conducteurs d’automobiles responsables et en colère – site aujourd’hui à l’abandon.

(2) Lire l’aventure extraordinaire de la FFMC et de la Mutuelle des Motards, dans le livre tout juste réédité « Chronique d’une utopie en marche » de Manu Marsetti. 284 pages, 16 euros.

samedi 6 février 2010

Loppsi2 : confiscation automatisée du véhicule

En décembre dernier, Dominique Bussereau, notre préposé aux Transports, paradait à Pékin avec la délégation française, loin du boxon hexagonal : RER A enlisé dans la grève, aéroports perturbés, tunnel de l’Eurostar bloqué…

Sans doute étourdi par le gigantisme de la dictature chinoise, le sous-ministre dilettante nous est revenu de son voyage comme affligé de turista répressive. Il annonce vouloir passer la "surmultipliée" face à un bilan 2009 mitigé en terme d’accidentologie. Et de nous en glisser une belle sous les roues, sortie de la répugnante Loppsi 2, actuellement soumise au Parlement et pondue par Sarkozy Nicolas. Ce "dispositif d’exception" promet entre autres joyeusetés (vidéosurveillance, flicage du web...) d’inciter nos forces de l’ordre à confisquer systématiquement les véhicules des « chauffards » avant de les revendre… au bénéfice de l’Etat.

Pour mémoire, la « confiscation » date de l’ancien régime. Elle touchait les biens des condamnés et de leurs héritiers avant d’être abolie par la Révolution française. Reprise par les Nazis pendant la dernière Guerre mondiale pour racketter les Juifs, cette saisie devenue sanction perdura pour récupérer les armes, les stupéfiants, ou les contrefaçons auprès des gangsters. Plus générale, elle frappe les barons de la drogue, les auteurs de crimes contre l’humanité, ou les terroristes.

Nicolas Sarkozy - en grand démocrate - propose donc que la confiscation policière ne soit plus réservée aux grands assassins et autres génocidaires, mais qu’elle revienne toucher Monsieur Tout-le-Monde. A condition que celui-ci commette - par exemple - un "délit de grande vitesse" (à partir de 40km/h au-dessus de la limitation) au volant de sa voiture ou au guidon de son deux-roues.
Les habituels normopathes et autres pleureuses de sous-préfecture nous expliqueront que c’est bien fait pour les méchants chauffards et blablabla. Mais reste la question de l’empilement sinoque des punitions. Pourquoi en rajouter avec Loppsi 2 alors que les risques pénaux encourus sur la route sont déjà délirants ?

Revue de détail avec le journaliste Jean-Pierre Steiner : « Homicide involontaire : 75 000 €, 5 ans d’emprisonnement, 5 ans de retrait de permis. Blessures involontaires : 2 à 3 ans de taule, 30 à 45 000 €, 5 ans de retrait. Jusque-là pourquoi pas ? Mais c’est ensuite que ça dérape. Un détecteur de radar non autorisé vaut à son possesseur 2 ans de prison, 30 000 € d’amende et 3 ans de retrait. Mettre des mineures des pays de l’Est à tapiner coûte moins cher ! Optimiser le moteur d’un cyclo, même punition : 2 ans à bronzer rayé, 30 000 €. Il vaut mieux carrément voler des scooters ça craint moins. Délit de grande vitesse si récidive : 3 mois de frigo, 1500 €, et 3 ans de retrait ! C’est presque aussi hard que de se faire piquer à dealer le l’héroïne ! »

Cet effarant durcissement de régime était venu ponctuer les glapissements sécuritaires de Jean-Claude Gayssot et Marie-Georges Buffet (PC) en charge des Transports sous le gouvernement Jospin (1997-2001). Voilà qui ouvrait grand la porte à la lourde machine mise en place fin 2003 par Nicolas Sarkozy (alors ministre de l’Intérieur) : le programme « 1000 radars automatiques ». Sept ans plus tard, tandis que 2500 photomatons crépitent au bord des routes, Sarkozy Nicolas nous en remet une tartine, beurrée d’une couche de Loppsi 2.
Rappelons pour la bonne bouche que ces mesures toujours plus coercitives sont disproportionnées : la courbe de mortalité routière baisse depuis… 30 ans.
Résumons. Prison et/ou amendes, annulation de permis, et maintenant saisie du véhicule. Quel est le but inavoué de cette dernière filouterie ? Réponse : outre, fournir des véhicules banalisés aux forces de police, booster un chiffre d’affaire qui fait saliver en haut lieu, celui de la ligne "confiscation de véhicules" (déjà 10 870 497 euros en 2008 !). L'Agence de Gestion des Biens Confisqués vient d’être (discrètement) créée dans ce but.
Nos dirigeants devraient aller au bout de l’idée, jouer franc jeu, et faire passer la "Sécurité routière" sous la coupe du Ministère du Budget.

Cet article a été publié sur Agora Vox


mardi 2 février 2010

De la liberté surveillée à la garde à vue

Effervescence médiatique autour du livre de Matthieu Aron « Gardés à vue ». Le journaliste de France Info y balance un scoop qui me fait sourire : les statistiques policières escamotent les gardes à vue « routières ».

On dénombre en France environ 900 000 GAV (gardes à vue) annuelles, et d’après l’enquête de Matthieu, une sur trois suivrait une « arrestation » routière. Or, ces stats seraient cachées par la puissance publique pour ne pas énerver des automobilistes et motards déjà à cran.
Une information précieuse certes, mais qui ne surprendra que les enfants abonnés à Okapi, les lectrices de Marc Levy, les Martiens ou les hypocrites. Cette info n’étonnera aucun citoyen affranchi. Ceux-là savent que l’emballement du processus de GAV résulte de la politique « routière » à la française.
Dès 2007 Airy Routier explicite ce « système répressif incontrôlé » et prédit l’actuelle situation délétère dans son livre : « La France sans permis ». Le rédacteur en chef du Nouvel Obs’ – dont le pamphlet fut frappé d’indignité par les bien-pensants de l’époque (quasiment toute la presse, déjà) - doit aujourd’hui se marrer en douce à l'évocation de cette « exclusivité » de Matthieu Aron qui semble faire redécouvrir l’eau tiède à tous les simplets du pays.
D’autant que dans « Radars le grand mensonge » j’en remets une couche au sein du chapitre « logique comptable et dégâts collatéraux », confirmant les inquiétants propos d’Airy Routier. Les agents de police interrogés (anonymement) pour les besoins de mon enquête, l’avouent : cette flambée des GAV abusives repose sur la politique du Chiffre imposée aux forces de l’ordre par Nicolas Sarkozy en 2002, sur le harcèlement fiscal et pénal des « usagés » de la route, dont le mitraillage des radars et sa surdélinquance dédiée : conduite en fausses plaques, conduite sans permis, délits de fuite, etc. Dans le chapitre « Police, la position démissionnaire » j’écris : « (…) notre police se concentre sur la délinquance molle, le citoyen motorisé et solvable : en 2008 près de 600 000 personnes ont été placées en garde à vue, c’est 1% de la population française (de + de 13 ans), et ce chiffre augmente encore cette année, tandis que l’IGS croule sous les plaintes pour bavure. ». Peut-on être plus clair ? J’y rappelle en outre que ce dévoiement du travail des policiers et gendarmes favorise la montée de la vraie délinquance. J’y montre pourquoi les statistiques gouvernementales ne sont plus crédibles, comment elles sont pipeautées. Et enfin j’explique que cette escroquerie d’envergure grimée en « sécurité routière » repose sur une manipulation d’opinion rendue possible grâce à la noyade des contre-pouvoirs en France. Bref, sur le sujet tout avait déjà été dit. Matthieu Aron a-t-il cité l'un ou l'autre de ces livres défricheurs dans son opus ? Parions que non, puisque selon son service presse "cette enquête est passionnante car elle évite le procès d'intention". Ha bon mais dans ce cas à quoi bon écrire un bouquin ? Matthieu aurait du faire photographe !
D’ailleurs ce soubresaut déontologique auquel nous assistons de la part des « grands médias » face à ces chiffres déments fait déjà pschitt. Aujourd’hui, retour à l’info, la vraie, à la française : petites phrases de politiques en guéguerre, suite moisie du procès Clearstream, le dernier livre sur Raymond Domenech, la mort du plus vieux chien du monde, la neige en hiver… le tout au milieu des habituels sondages idiots.


Les livres dont il est question :
La France sans permis, Airy Routier, Albin Michel, 2007
Radars, le grand mesonge, Jean-Luc Nobleaux, Tatamis 2009
Gardé à vue, Matthieu Aron, Les Arènes, 2010